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Tableau Naturel
des Rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et l’Univers

par Louis-Claude de Saint-Martin
DEUXIEME PARTIE

Le but de l’homme : le retour à l’Unité

Lorsqu’un homme produit une oeuvre quelconque, il ne fait que peindre et rendre visible le plan, la pensée ou le dessein qu’il a formé. Il s’attache à donner à cette copie autant de conformité qu’il lui est possible avec l’original, afin que sa pensée soit mieux entendue.

Si les hommes dont l’homme veut se faire entendre, pouvaient lire dans sa pensée, il n’aurait aucun besoin des signes sensibles pour en être compris : tout ce qu’il concevrait serait saisi par eux, aussi promptement et avec autant d’étendue que par lui-même.

Il n’emploie donc tous ces moyens physiques, il ne produit toutes ces oeuvres matérielles que pour annoncer sa pensée à ses semblables, à des êtres distincts de lui, de les assimiler à une image de lui-même, et en s’efforçant de les envelopper dans son unité, dont ils sont séparés.

Tous les hommes n’ont et n’auront jamais pour but que de faire acquérir à leurs pensées, le privilège de l’universalité, de l’unité. C’est cette même loi universelle de réunion qui produit l’activité générale, et cette voracité que nous avons remarqué dans la Nature physique : car on voit une attraction réciproque entre tous les corps, par laquelle, en se rapprochant, ils se substantent et se nourrissent les uns les autres ; c’est par le besoin de cette communication, que tous les individus s’efforcent de lier à eux, les êtres qui les environnent de les confondre en eux et de les absorber dans leur propre unité, afin que les subdivisions venant à disparaître, ce qui est séparé se réunisse ; ce qui est à la circonférence revienne à la lumière, et que par-là l’harmonie et l’ordre surmontent à la confusion qui tient tous les êtres en travail.

Lorsque Dieu a eu recours à des signes visibles, tels que l’Univers, pour communiquer sa pensée, il n’a pu les employer qu’en faveur d’êtres séparés de lui. Car si tous les êtres fussent restés dans son unité, ils n’auraient pas eu besoin de ces moyens pour y lire. Dès lors nous reconnaîtrons que ces êtres corrompus séparés volontairement de la cause première, et soumis aux lois de sa justice dans l’enceinte visible de l’Univers, sont toujours l’objet de son amour, puisqu’il agit sans cesse pour faire disparaître cette séparation si contraire à leur bonheur.

La loi de tendance à l’unité

La loi de tendance à l’unité s’appliquant à toutes les classes et à tous les êtres, il résulte que le moindre des individus a le même but dans son espèce : c’est-à-dire, que les principes universels, généraux et particuliers se manifestent chacun dans les productions qui leur sont propres, afin de rendre par là leurs vertus visibles aux êtres distinct d’eux, qui étant destinés à recevoir la communication et les secours de ces vertus, ne le pourraient sans ce moyen.

Ainsi, toutes les productions, tous les individus de la Création générale et particulière, ne sont, chacun dans leur espèce, que l’expression visible, le tableau représentatif des propriétés du principe soit général, soit particulier qui agit en eux. Ils doivent tous porter en eux les marques évidentes de ce principe qui les constitue. Ils doivent en annoncer clairement le genre et les vertus, par les actions et les faits qu’ils opèrent. En un mot, ils doivent en être le signe caractéristique, et, pour ainsi dire, l’image sensible et vivante.

L’erreur des théories évolutionnistes

Les théories évolutionnistes qui supposent la nature des choses perfectible qui peut successivement porter les classes et les espèces les plus inférieurs aux premiers rangs d’élévation dans la chaîne des êtres. Cette conjecture est dictée par l’erreur car tout est réglé, tout est déterminé dans les espèces, et même les individus. Il y a pour tout ce qui existe une loi fixe, un nombre immuable, un caractère indélébile, comme celui de l’être principe en qui président les lois, tous les nombres, tous les caractères. Chaque classe, chaque famille a sa barrière que nulle force ne pourra jamais franchir.

Si l’existence de toutes les productions de la Nature n’avait pas un caractère fixe, comment pourrait-on en reconnaître l’objet et les propriétés ? Comment s’accompliraient les desseins du grand Principe qui, en déployant cette Nature aux yeux des êtres séparés de lui, a voulu leur présenter des indices stables et réguliers, par lesquels ils pussent rétablir avec lui leur correspondance et leurs rapports ? Si ces indices matériels étaient variables ; si leur loi, leur marche, leur forme même n’étaient pas déterminées, l’oeuvre de ce Peintre ne serait qu’un tableau successif d’objets confus, sur lesquels l’intelligence ne trouverait point à se reposer, et qui ne pourrait jamais montrer le but du grand être. Enfin ce grand être lui-même n’annoncerait que l’impuissance et la faiblesse, en ce qu’il se serait proposé un plan qu’il n’aurait pas su remplir.

Chaque production de la Nature a son caractère déterminé ; c’est par là seulement qu’elle peut être l’expression évidente de son principe ; à sa seule vue, un oeil exercé doit pouvoir décider de quel agent telle production manifeste les facultés. L’homme ne peut donc exister aussi que par cette loi générale.

En quoi l’homme diffère-t-il des autres productions de la Nature ?

Pour connaître l’homme, il faut chercher en lui les signes d’un Principe d’un autre ordre que le principe qui anime la matière. Si l’on observe attentivement les oeuvres de l’homme on apercevra que non seulement elles sont les expressions de ses pensées ; mais encore, qu’il cherche, autant qu’il le peut, à se peindre lui-même dans ses ouvrages. Il ne cesse de multiplier sa propre image par la Peinture et la Sculpture, et dans mille productions des Arts les plus frivoles ; enfin, il donne aux édifices qu’il élève, des proportions relatives à celles de son corps. Vérité profonde, qui pourra découvrir un espace immense à des yeux intelligents ; car ce penchant si actif à multiplier ainsi son image, et à ne trouver le beau que dans ce qui s’y rapporte, doit à jamais distinguer l’homme de tous les êtres particuliers de cet Univers.

Contrairement aux animaux qui ont des comportements identiques dans chacune des espèces, l’homme n’offre que des différences et des oppositions. Chaque homme est semblable à un souverain dans son Empire. Non seulement l’homme diffère de ses semblables, mais à tout instant encore il diffère de lui-même. Il veut et ne veut pas ; il hait et il aime ; il prend et il rejette presque en même temps le même objet ; presque en même temps il en est séduit et dégoûté. Bien plus, il fuit quelquefois ce qui lui plaît ; s’approche de ce qui le répugne ; va au devant des maux, des douleurs et même de la mort. Ainsi l’on peut dire que dans ses ténèbres, comme dans sa lumière, l’homme manifeste un principe tout à fait différent de celui qui opère et qui entretient le jeu de ses organes.

C’est une méprise impardonnable de conclure de différents exemples particuliers, à une loi générale pour l’espèce humaine. L’homme a en lui les germes de toutes les vertus ; elles sont toutes dans sa nature, quoiqu’il ne les manifeste que partiellement, de là vient que souvent lorsqu’il semble méconnaître les vertus naturelles, il ne fait que les substituer les unes aux autres.

S’il est vrai que l’homme n’ait pas une seule idée à lui ; et que cependant l’idée d’un tel pouvoir et d’une telle lumière soit, pour ainsi dire, universelle, tout peut être dégradé dans la science et la marche ténébreuse des hommes, mais tout n’y est pas faux. Cette idée annonce donc qu’il y a dans eux quelque analogie, quelques rapports avec l’action suprême, et quelques vestiges de ses propres droits ; comme nous avons déjà trouvé dans l’intelligence humaine, des rapports évidents avec l’intelligence infinie et avec ses vertus .

Si chacun des êtres de la Nature est l’expression d’une des vertus temporelles de la sagesse, l’homme est le signe ou l’expression visible de la Divinité même ; autrement la ressemblance n’étant pas parfaite, le modèle pourrait être méconnu.

Les éléments intermédiaires : les nombres

Avant que les choses temporelles puissent avoir eu l’existence qui nous les rend sensibles, il a fallu des éléments primitifs et intermédiaires entre elles et les facultés créatrices dont elles descendent, sont d’une nature trop différente pour pouvoir exister ensemble sans intermède ; ce qui nous est physiquement répété par le soufre et l’or, par le mercure et la terre, lesquels ne peuvent s’unir que par la même loi d’une substance intermédiaire.

Tout ce qui existe dans la nature corporelle, toutes les formes, les moindres traits, ne sont et ne peuvent être que des réunions, des combinaisons, ou des divisions des signes primitifs qui sont les nombres. Rien ne peut paraître parmi les choses sensibles qui ne soient écrit par eux, qui ne descendent d’eux et qui ne leur appartienne, comme toutes les figures possibles de la Géométrie seront toujours composées de points, de lignes, de cercles ou de triangles.

L’homme lui-même, dans ses oeuvres matérielles, qui ne sont que des oeuvres secondes par rapports aux oeuvres de la Nature, est lié, comme tous les autres êtres à ces signes primitifs ; il ne peut rien élever, rien tracer, rien construire ; il ne peut imaginer aucune forme, exécuter un seul mouvement volontaire ou involontaire, qui ne tiennent à ces modèles exclusifs, dont tout ce qui se meut, tout ce qui vit dans la Nature, n’est que le fruit de la représentation. S’il en pouvait être autrement, l’homme serait créateur d’une autre Nature et d’un autre ordre de choses, qui n’appartiendraient point au Principe producteur et modèle de tout ce qui existe sensiblement pour nous.

Il n’est donc rien dans l’homme corporel, ni dans ses productions, qui ne soit, quoique très secondairement, l’expression de l’action créatrice universelle, que tout être corporel représente, dès qu’il existe et qu’il agit.

La parole et l’écriture

Les sons et les caractères alphabétiques, qui servent d’instruments fondamentaux à tous les mots que nous employons pour manifester nos idées, doivent tenir à des signes et à des sons primitifs qui leur servent de base ; et cette vérité profonde nous est tracée de toute antiquité dans le fragment de Sanchoniaton, où il représente Thot tirant le portrait des Dieux pour en faire les caractères sacrés des lettres ; 10, emblème sublime et d’une fécondité immense, parce qu’il est pris dans la source même où l’homme devrait toujours puiser.

Puisque la loi qui sert d’organe à la suprême Sagesse établit partout un ordre et une régularité, elle doit avoir déterminé, pour l’expression des pensées qu’elle nous envoie, des signes invariables, comme elle en a établi pour la production de ses faits matériels.

Les sons et les caractères primitifs étant les vrais signes sensibles de nos pensées, ils doivent être les signes sensibles de l’unité pensante car il n’y a qu’un seul principe de toutes choses.

Ainsi les productions les plus défigurées, que nous puissions manifester par la parole et par l’écriture, portent toujours secondairement l’empreinte de ces signes primitifs ; et par conséquent celle de cette unique idée, ou de l’unité pensante : ainsi l’homme ne peut proférer une seule parole, tracer un seul caractère, qu’il ne manifeste la faculté pensante de l’Agent suprême ; comme il ne peut produire un seul acte corporel, un seul mouvement, sans en manifester les facultés créatrices.

L’homme est destiné à être le signe et l’expression parlante des facultés universelles du Principe suprême, dont il est émané ; comme tous les êtres particuliers sont, chacun dans leur classe, le signe visible du principe particulier qui leur a communiqué la vie.

L’émanation

L’émanation divine doit être comprise en tant que le Principe créateur n’a éprouvé ni séparation, ni division, ni aucune altération dans leur essence. Pour bien comprendre ce terme, procédons par analogie. Quand je produis extérieurement quelque acte intellectuel, lorsque je communique à l’un de mes semblables la plus profonde de mes pensées, ce mobile que je porte dans son être, qui va le faire agir peut lui donner une vertu : ce mobile, quoique sorti de moi, quoi qu’étant, pour ainsi dire, un extrait de moi-même et de ma propre image, ne me prive point de la faculté d’en produire de pareils. J’ai toujours en moi le même germe de pensées, la même volonté, la même action ; et cependant j’ai en quelque façon donné une nouvelle vie à cet homme, en lui communiquant une idée, une puissance qui n’était rien pour lui, avant que j’eusse fait en sa faveur, l’espèce d’émanation dont je suis susceptible. Nous souvenant toutefois qu’il n’y a qu’un seul Auteur et créateur de toutes choses, on verra pourquoi je ne communique que des lueurs passagères ; au lieu que cet Auteur universel communique l’existence même, et la vie impérissable.

Mais, si dans l’opération qui m’est commune avec tous les hommes, on sait évidemment que l’émanation de mes pensées, volontés et actions, n’altèrent en rien mon essence ; à plus forte raison la vie divine peut se communiquer par des émanations : elle peut produire sans nombre et sans fin, les signes et les expressions d’elle-même, et ne jamais cesser d’être le foyer de la vie.

La réminiscence

Si nous sommes émanés d’une source universelle de vérité, aucune vérité ne doit nous paraître nouvelle et réciproquement, si aucune vérité ne nous paraît nouvelle, mais que nous n’y apercevions que le souvenir ou la représentation de ce qui était caché en nous, nous devons avoir pris naissance dans la source universelle de la vérité.

L’homme intellectuel, par sa primitive existence, a dû selon la loi universelle des êtres tenir à son arbre générateur. Il était, pour ainsi dire, le témoin de tout ce qui se existait dans son atmosphère : et comme cette atmosphère est autant au-dessus de celle que nous habitons, que l’Intellectuel est au-dessus du matériel même, les faits auxquels l’homme participait, étaient incomparablement supérieurs aux faits de l’ordre élémentaire : et la différence des uns et des autres, est celle qu’il y a entre la réalité des êtres qui ont une existence vraie et indélébile, et l’apparence de ceux qui n’ont qu’une vie indépendante et secondaire. Ainsi, l’homme étant lié à la vérité, participait, quoique passivement, à tous les faits de la vérité. Après avoir été détaché de l’arbre universel , qui est son arbre générateur, l’homme se trouvant précipité dans une région inférieure pour y éprouver une végétation intellectuelle, s’il parvient à y acquérir des lumières et à manifester les vertus et les facultés analogues à sa vraie nature, il ne fait que réaliser et représenter par lui-même ce que son Principe avait déjà montré à ses yeux : il ne fait que recouvrer la vue d’une partie des objets qui avaient déjà été en sa présence ; que se réunir à des êtres avec lesquels il avait déjà habité ; enfin, que découvrir de nouveau, d’une manière plus intuitive, plus active, des choses qui avaient déjà existé pour lui, dans lui, et autour de lui.

Voilà pourquoi l’on peut dire d’avance que tous les êtres créés et émanés dans la région temporelle, et l’homme par conséquent, travaillent à la même oeuvre, qui est de recouvrer leur ressemblance avec le Principe, c’est-à-dire, de croître sans cesse jusqu’à ce qu’ils viennent au point de produire leurs fruits, comme il a produit les siens en eux.

L’homme est né pour prouver à tous les êtres qu’il y a un Dieu nécessaire, lumineux, bon, juste, saint, puissant, éternel, fort, toujours prêt à revivifier ceux qui l’aiment, toujours terrible pour ceux qui veulent le combattre ou le méconnaître. Heureux l’homme, s’il n’eût jamais annoncé Dieu qu’en manifestant ses puissances et non pas en les usurpant ! L’homme ne peut surpasser son Créateur puisque toute les productions sont inférieures à leur Principe générateur, puisque nous ne sommes que l’expression des Facultés divines et du Nombre divin, et non pas la nature même de ces facultés et de ce nombre qui est le caractère propre et distinctif de la Divinité.

A quelque point que nous montions, il sera éternellement et infiniment au dessus de nous, comme au dessus de tous les êtres. C’est même l’honorer que d’ennoblir ainsi notre propre essence ; parce que nous ne pouvons nous élever d’un degré que nous ne l’élevions en même temps dans un rapport quadruple ; puisque toute action, comme tout mouvement, toute progression est quaternaire, et que nous ne pouvons nous mouvoir que selon l’immuabilité de ses lois.

Enfin, si nous descendons de la Divinité, si elle est le principe immédiat de notre existence, plus nous nous en rapprochons, et plus nous l’agrandissons aux yeux de tous les êtres ; puisqu’alors nous faisons sortir d’autant plus d’éclat de ses Puissances et de sa supériorité.

Dieu doit être notre terme de comparaison si nous voulons nous préserver de toutes les illusions et des amorces de l’orgueil par lesquelles l’homme est si souvent réduit.
 
 

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