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Tableau Naturel
des Rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et l’Univers

par Louis-Claude de Saint-Martin


PREMIERE PARTIE

L’univers n’existe que par des facultés créatrices, invisibles ; les facultés créatrices de l’univers ont une existence nécessaire et indépendante de l’univers, comme mes facultés visibles existent nécessairement et indépendamment de mes oeuvres matérielles.

Indépendamment des facultés créatrices universelles de la nature sensible, il existe, encore hors de l’homme, des facultés intellectuelles et pensantes, analogues à son être, et qui produisent en lui des pensées ; car les mobiles de sa pensée n’étant pas à lui, il ne peut trouver ces mobiles que dans une source intelligente, qui ait des rapports avec son être ; sans cela, ces mobiles n’ayant aucune action sur lui, le germe de sa pensée demeurerait sans réaction et par conséquent sans effet.

Cependant, quoique l’homme soit passif dans ses idées sensibles, il lui reste toujours le privilège d’examiner les pensées qui lui sont présentées, de les juger, de les adopter, de les rejeter, d’agir ensuite conformément à son choix et d’espérer, au moyen d’une marche attentive et suivie, d’atteindre un jour à la jouissance invariable de la pensée pure : toute chose qui dérivent naturellement de l’usage de la liberté.

La liberté

Comme principe, la liberté est la vraie source de détermination, c’est cette faculté qui est en nous de suivre la loi, qui nous est imposée, ou d’agir en opposition à cette loi ; c’est enfin la faculté de rester fidèle à la lumière qui nous est sans cesse présentée. Cette liberté principe se manifeste à l’homme, même lorsqu’il s’est rendu esclave des influences étrangères à sa loi. Alors on le voit encore, avant de se déterminer, comparer entre elles les diverses impulsions qui le dominent, opposer ses habitudes et ses passions les unes aux autres et choisir enfin celle qui a le plus d’attrait pour lui.

Considérée comme effet, la liberté se dirige uniquement d’après la loi donnée à notre nature intellectuelle ; alors, elle suppose l’indépendance, l’exemption entière de toute action, force ou influence contraire à cette loi, exemption que peu d’homme ont connue. Sous ce point de vue, où l’homme n’admet aucun autre motif de sa loi, toutes ses déterminations, tous ses actes sont l’effet de cette loi qui le guide, et c’est alors seulement qu’il est vraiment libre, n’étant jamais détourné par aucune impulsion étrangère de ce qui convient à son être.

Dieu

Quant à l’être principe, à cette force pensante universelle, supérieure à l’homme, de laquelle nous ne pouvons pas surmonter ni éviter l’action, et dont l’existence est démontrée par l’état passif où nous sommes envers elle relativement à nos pensées, ce dernier Principe a aussi une liberté qui diffère essentiellement de celles des autres êtres ; car étant lui-même sa propre loi, il ne peut jamais s’en écarter et sa liberté n’est exposée à aucune entrave ou impulsion étrangère. Ainsi, il n’a pas cette faculté funeste par laquelle l’homme peut agir contre le but même de son existence. Ce qui démontre la supériorité infinie de ce Principe universel et Créateur de toute loi.

Ce Principe suprême, source de toutes les puissances, soit de celles qui vivifient la pensée dans l’homme, soit de celles qui engendrent les oeuvres invisibles de la nature matérielle, cet être nécessaire à tous les autres êtres, germe de toutes les existences : ce terme final vers lequel elles tendent, comme par un effort irrésistible, parce que toutes recherchent la vie ; cet être, dis-je est celui que les hommes appellent généralement DIEU.

La Nature

L’Univers ne peut influer sur les facultés actives et créatrices auxquelles il doit l’existence, et il n’a pas de rapport plus direct et plus nécessaire avec Dieu, à qui appartient ces facultés, que nos oeuvres matérielles n’en ont avec nous. L’Univers est, pour ainsi dire, un être à part ; il est étranger à la divinité, quoiqu’il ne lui soit ni inconnu, ni même indifférent... Il ne tient point à l’essence divine, quoique Dieu s’occupe du soin de l’entretenir et de le gouverner. Ainsi il ne participe point à la perfection, que nous savons appartenir à la Divinité ; il ne forme point unité avec elle ; par conséquent il n’est pas compris dans la simplicité des lois essentielles et particulières à la Nature Divine.

Aussi aperçoit-on partout dans l’Univers des caractères de désordre et de difformité ; ce n’est qu’un assemblage violent de sympathies et d’antipathies, de similitudes et de différences, qui forcent les êtres à vivre dans une continuelle agitation, pour se rapprocher de ce qui leur convient, et pour fuir ce qui leur est contraire : ils tendent sans cesse à un état plus tranquille, ils tendent à l’unité d’où tout est sorti.

L’imperfection attachée aux choses temporelles, prouve qu’elles ne sont ni égales ni coéternelles à Dieu, et démontre en même temps qu’elles ne peuvent être permanentes comme lui : car leur nature imparfaite ne tenant point de l’essence de Dieu, à laquelle seule appartient la perfection et la Vie, doit pouvoir perdre la vie ou le mouvement qu’elle a pu recevoir : parce que le véritable droit que Dieu ait de ne pas cesser d’être, c’est de n’avoir pas commencé.

Dans l’ordre intellectuel, c’est le supérieur qui nourrit l’inférieur ; c’est le principe de toute existence qui entretient dans tous les êtres la vie qu’il leur a été donné ; c’est la source première de la vérité, que l’homme intellectuel reçoit journellement ses pensées et la lumière qui l’éclaire. Or ce principe supérieur n’attendant sa vie, ni son soutien d’aucune de ses productions, recevant tout de lui-même, est à jamais à l’abri de la privation, de la disette et de la mort.

Au contraire, dans toutes les classes de l’ordre physique, c’est l’inférieur qui nourrit et alimente le supérieur. C’est là l’image la plus frappante de son impuissance et la preuve la plus certaine de la nécessité de sa destruction ; car ne pouvant conserver sa vertu génératrice et son existence, que par le secours de ses propres productions, on ne saurait la croire impérissable, sans lui reconnaître, comme dans Dieu, la faculté essentielle et sans limites d’engendrer ; et alors on ne verrait en elle ni stérilité, ni sécheresse.

Dans le principe suprême, qui a ordonné la production de cet Univers, et qui en maintient l’existence, tout est essentiellement ordre, paix, harmonie ; ainsi on ne doit pas lui attribuer la confusion qui règne dans toutes les parties de notre ténébreuse demeure ; et ce désordre ne peut être que l’effet d’une cause inférieure et corrompue qui ne peut agir que séparément et hors du Principe du bien : car il est encore plus certain qu’elle est nulle et impuissante, relativement à la Cause première. Il est impossible que ces deux Causes existent hors de la classe des choses temporelles. Dès que la Cause inférieure a cessé d’être conforme à la loi de la Cause supérieure, elle a perdu toute union et toute communication avec elle ; parce qu’alors la cause supérieure, Principe éternel de l’ordre et de l’harmonie, a laissé la cause inférieure, opposée à son unité, tomber d’elle-même dans l’obscurité de sa corruption, comme elle nous laisse tous les jours perdre volontairement de l’étendue de nos facultés, et les resserrer, par nos propres actes, dans les bornes des affections les plus viles, au point de nous éloigner absolument des objets qui conviennent à notre nature.

La matière, le mal

Ainsi, loin que la naissance du mal et la création de l’enceinte, dans laquelle il a été renfermé, aient produit, dans l’ordre vrai, un plus grand ensemble de choses et ajouté à l’Immensité, elles n’ont fait que particulariser ce qui par essence devait être général ; que diviser des actions qui devaient être unies ; que contenir dans un point ce qui avait été séparé de l’universalité, et devait sans circuler sans cesse dans toute l’économie des êtres ; que sensibiliser enfin sous des formes matérielles ce qui existait déjà en principe immatériel : car, si nous pouvions anatomiser l’Univers et écarter ses enveloppes grossières, nous en trouverions les germes et les fibres principes disposés dans le même ordre où nous voyons que sont leurs fruits et leurs productions ; et cet Univers invisible serait aussi distinct à notre intelligence que l’Univers matériel l’est aux yeux de notre corps. C’est là où les Observateurs se sont égarés, en confondant l’Univers invisible et l’Univers visible, et en annonçant le dernier, comme étant fixe et vrai, ce qui n’appartient qu’à l’Univers invisible et principe.

C’est ainsi que la cause inférieure eut pour limites le rempart sensible et insurmontable de l’action invisible vivifiante et pure du grand Principe, devant laquelle toute corruption voit anéantir ses efforts. Cette cause inférieure, exerçant son action dans l’espace ténébreux où elle est réduite, tout ce qui y est contenu avec elle sans exception, doit être exposé à ses attaques : et quoi qu’elle ne puisse rien sur l’essence de l’Univers, elle peut en combattre les Agents, mettre obstacle au résultat de leurs actes, et insinuer son action déréglée dans les moindres dérangements des êtres particuliers, pour en augmenter encore le désordre.

Comment la Cause inférieure peut être opposée à la Cause supérieure ? ou comment le principe intelligible peut-il produire quelque chose qui va s’opposer à lui ?

Pour comprendre cela, nous allons chercher comment il se peut que le mal existe en présence des phénomènes matériels. L’ être créateur produit sans cesse des êtres hors de lui, comme les principes des corps produisent sans cesse hors d’eux leurs actions. Il ne se produit point des assemblages puisqu’il est Un, simple dans son essence. Par conséquent, si, parmi les productions de ce premier Principe, il en est qui puissent se corrompre, elles ne peuvent au moins se dissoudre ni s’anéantir, comme les productions corporelles et composées.

Les êtres matériels

La corruption, le dérangement, le mal enfin des productions matérielles, est de cesser d’être sous l’apparence de la forme qui leur est propre. La corruption des productions immatérielles est de cesser d’être dans la loi qui les constitue. Cependant la destruction des productions matérielles, lorsqu’elle arrive dans son temps et naturellement n’est point un mal ; elle n’est désordre que dans le cas où elle est prématurée : et même le mal est moins alors dans les êtres livrés à la destruction, que dans l’action déréglée qui l’occasionne.

Les êtres immatériels

Les êtres immatériels, au contraire, n’étant pas des assemblages, ne peuvent jamais être pénétrés par aucune action étrangère ; ils ne peuvent en être décomposés, ni anéantis. Ainsi, la corruption de ces êtres ne saurait provenir de la même source que celle des productions matérielles : puisque la loi contraire, qui agit sur elles, ne peut agir sur des êtres simples.

La corruption

A qui cette corruption doit-elle donc être attribuée ? Car les productions soit matérielles, soit immatérielles, puisant la vie dans une source pure, chacune selon sa classe, ce serait injurier le principe, que d’admettre la moindre souillure dans leur essence. De la différence extrême qui existe entre les productions immatérielles et les productions matérielles, il résulte que celles-ci étant passives, puisqu’elles sont composées, ne sont point les agents de leur corruption ; elles n’en peuvent donc être que le sujet, puisque le désordre leur vient nécessairement du dehors.

Au contraire, les productions immatérielles, en qualité d’êtres simples, et dans leur état primitif et pur, ne peuvent recevoir ni dérangement, ni mutilation, par aucune force étrangère ; puisque rien d’elles n’est exposé et qu’elles renferment toute leur existence et tout leur être en elle-même, comme formant chacune leur unité : d’où il en résulte que s’il en est qui ont pu se corrompre, non seulement elles ont été le sujet de leur corruption, mais encore elles ne ont dû être l’organe et les agents : car il était de toute impossibilité que la corruption leur vînt d’ailleurs ; puisqu’aucun être ne pouvait avoir prises sur elles ; ni déranger leur loi.

Un être qui approche et qui jouit de la vue des vertus du souverain Principe, peut-il trouver un motif prépondérant opposé aux délices de ce sublime spectacle ? S’il détourne les yeux de ce grand objet, ou si les portant sur ces productions pures de l’Infini, il cherche, en les contemplant, un motif faux et contraire à leurs lois, peut-il le trouver hors de soi-même, puisque ce motif est le mal, et que ce mal n’existait nulle part pour lui avant que cette pensée criminelle l’eût fait naître, comme nulle production n’existe avant son Principe générateur.

Le Principe divin ne contribue point au mal et au désordre qui peuvent naître parmi ses productions puisqu’il est la pureté même : étant simple et étant le loi de sa propre essence et de toutes ses oeuvres, il est impassible à toute action étrangère. Le désordre et la corruption ne s’étendent pas sur les Principes premiers.

Quoique les êtres libres distincts du grand Principe, puissent écarter les influences intellectuelles qui descendent continuellement sur eux ; quoique ces influences intellectuelles reçoivent peut-être dans leur cours quelque contraction qui en détourne les effets, celui qui leur envoie ces présents salutaires ne ferme jamais sa main bienfaisante. Il a toujours la même activité. Il est toujours également fort, également puissant, également pur, également impassible aux égarements de ses productions libres, qui peuvent se plonger elle-même dans le crime, et enfanter le mal par les seuls droits de leur volonté. Il serait donc absurde d’admettre aucune participation de l’être divin aux désordre des êtres libres, et à ceux qui en résultent dans l’Univers ; en un mot, Dieu et le mal ne peuvent jamais avoir le moindre rapport.

Ce serait avec aussi peu de fondements qu’on attribuerait le mal aux êtres matériels, puisqu’ils ne peuvent rien par eux-mêmes, et que toutes leur action vient de leur principe individuel, lequel est toujours dirigé ou réactionné par une force séparée de lui. Or, s’il n’y a que trois classes d’êtres : Dieu, les êtres intellectuels et la Nature physique : si l’on ne peut trouver l’origine du mal dans la première, qui est exclusivement la source de tout bien ; ni dans la dernière , qui n’est ni libre, ni pensante ; et que cependant l’existence du mal soit incontestable ; on est nécessairement forcé de l’attribuer à l’homme, ou à tout autre être, tenant comme lui un rang intermédiaire.

Le mal provient des Etres intermédiaires

L’homme agit tantôt bien, tantôt mal ; c’est-à-dire que tantôt il suit les lois fondamentales de son être, tantôt il s’en écarte. Quand il fait bien, il marche dans la lumière et le secours de l’intelligence ; et quand il fait mal, on ne peut l’attribuer qu’à lui seul, et non à l’intelligence, qui est la seule voie, le seul guide du bien, et par laquelle seule l’homme et tous les êtres peuvent bien faire.

Nous ne pouvons connaître la nature essentielle du mal car pour le comprendre, il faudrait qu’il fût vrai, et alors il cesserait d’être mal, puisque le vrai et le bien sont la même chose. Comprendre, c’est apercevoir le rapport d’un objet avec l’ordre et l’harmonie dont nous avons la règle en nous même. Si le mal n’a aucun rapport avec cet ordre et qu’il en soit précisément l’opposé comment pourrions-nous apercevoir entre eux quelque analogie ; comment par conséquent pourrions nous le comprendre ?

Le mal a cependant son poids, son nombre et sa mesure, comme le bien : et l’on peut même savoir en quel rapport sont ici-bas le poids, le nombre et la mesure du mal, et cela en quantité, en intensité, et en durée. Car le rapport du mal au bien en quantité est de neuf à un , en intensité de zéro à un , et en durée de sept à un.
 
 

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